Je retranscris ce soir tel quel et avec son accord, le texte que j'ai reçu il y a 3 jours, de Sin'K, du groupe de Rap de Drancy, EMPATHIK. J'ai fait la connaissance de Sin'K lors de la campagne pour les municipales de mars 2007 à Drancy, lorsqu'il s'adressa à moi, en tant que candidat socialiste, pour m'exprimer son « sentiment d’exaspération que nous ressentons envers une gauche qui se fout de nous à longueur de discours ». Ses mots intelligents, engagés, sans concession, empreints de lucidité et de tolérance me touchèrent et nous commençâmes une correspondance pour moi enrichissante.
Ce personnage, Sin'K, doit être connu, c'est une nécessité ! Sin'K est un être rare. Et ce serait facile d'embrayer sur le surprenant désert culturel drancéen, mais ce n'est pas là mon but Sin'K manie une parole qui dépasse de beaucoup la seule sphère de Drancy, si désertique qu'elle soit. Ce texte, une interview de lui qu'ont mené les élèves d'un collège de Drancy, nous le fait découvrir. Alors, quand un ciseleur de mots rares rencontre de jeunes collégiens ayant la soif d'apprendre et de creuser derrière les apparences et les mots, ça se passe à Drancy et voici ce que cela donne :
« La censure ne semble pas avoir atteint les plus jeunes de nos concitoyens, pour preuve une interview que nous (le groupe EMPATHIK) avons accordée aux élèves du collège Paul Bert de Drancy, le 24 mai 2008. Enfin des questions pertinentes !
Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?
Sin'K, drancéen depuis la naissance. Je suis rappeur et producteur au sein du groupe Empathik et plus largement d'Incorrupt Records, notre structure socio culturelle depuis maintenant 8 ans.
Que représente la musique pour vous ? Est-ce un instrument, un moyen pour dénoncer certaines choses, ou bien juste une passion ?
Notre approche très personnelle d'Actéon et moi-même vis-à-vis de l'écriture remonte au tout début de notre adolescence. Nous avons commencé tous deux à écrire des poèmes très « primitifs » en ce qui concerne la syntaxe, des rimes relativement simples, un phrasé de jeunes collégiens pour résumer un peu. Nous y dénoncions déjà le racisme, l'intolérance, la course à l'argent, le manque d'attention accordée à la jeunesse. La musique quant à elle a toujours été présente. Nous nous enregistrions sur de vieilles cassettes dès l'école primaire. Au collège nous avons allié cet amour de l'écriture, sorte d'exutoire où se mêlent interrogations craintives et revendications corrosives, à cette passion qu'est la musique. Au tout départ, c'était plus un besoin personnel de s'exprimer avec franchise plutôt qu'une envie de dénoncer ouvertement ce qui nous révoltait ou nous chagrinait. Nous avons découvert la force du « message » par le biais de la musique bien plus tard.
Dans votre album « Tiré du Néant », vous parlez de la vie, de la mort, de Dieu, des points faibles de l'humanité, de la famille etc. Votre musique reflète certes une réalité, mais assez dure et assez sombre.
Ce que je vais dire risque de surprendre un peu, mais si nous critiquons autant la nature humaine c'est bien parce que justement nous aimons nos semblables, nous aimons la vie. Je pense qu'un misanthrope ne l'est jamais véritablement. Il idéalise l'Homme, il lui voue un profond respect, conscient de son intelligence et des bonnes œuvres qu'il est censé accomplir. Or lorsque ce « misanthrope » sort dans la rue qu'est-ce qu'il voit ? Des humains qui tuent, qui mentent, qui trahissent, qui violent (des fois même leurs propres enfants !), qui polluent la planète sans penser au désastre écologique qu'ils lègueront aux générations futures etc. Comment ne pas être déçu ? La vie est ainsi. Au sein des sociétés dites « occidentales » la mort est tabou, à tel point qu'elle devient inacceptable pour certains d'entre nous. Pourtant la mort comme la naissance, n'ont rien de plus naturelles.
Mais la vie n'est pas faite que de souffrance, heureusement. Alors pourquoi insistez-vous autant sur ce coté là (triste), plutôt que sur les belles choses de la vie, le bonheur par exemple ?
Le peu de fois où j'allume la télévision je n'y vois que des chanteurs fredonner des amours naïfs, des femmes à moitié dénudées à chaque spot publicitaire dans le but de nous vendre tout et n'importe quoi, des humoristes qui n'ont aucune opinion politique, le temps de Coluche ou des Inconnus est malheureusement révolu. Disons que le superficiel est parfaitement entretenu par le petit écran ou la bande FM, nul besoin d'en rajouter. De plus artistiquement parlant si je devais parler du bonheur, je n'aurai que bien peu d'inspiration. La tristesse et la revendication égalitaire semblent être mes uniques muses.
Pourquoi ce titre (« Tiré du Néant ») ?
Ce titre veut dire beaucoup de choses à la fois et chacun peut y trouver un sens différent. Nous avons surgi du « néant musical », ce Rap où on ne parle que d'argent, de femmes faciles et d'un « moi, je » omniprésent. Nous sommes passés d'un Rap aux revendications sociales légitimes à un Rap dénué de message, totalement stupide. Les artistes du genre ont remplacé le « nous sommes » par « je suis ». Au sein d'Empathik nous sommes pour le brassage de pensées, l'entre-aide fraternelle, l'unicité d'un monde riche de ses diversités culturelles donc anti individualiste et anti impérialiste. Le « néant social », nous sommes en plein dedans. A nous de nous en tirer.
Vous militez pour la liberté en général, est-ce pour cela que votre musique est délibérément gratuite ?
Oui. Nous distribuons nos sons gratuitement depuis 2001 et nous n'avons pas l'intention de changer de cap. Personne ne peut nous accuser de faire de la misère du monde notre fond de commerce. Le message doit l'emporter. Mais la musique, bien qu'elle puisse interpeller sur certaines réalités, n'est pas une finalité en soi. C'est là qu'intervient le travail associatif, ou bien le travail quotidien que chacun de nous occupe. C'est ainsi qu'on élève ses enfants dans le respect d'autrui, qu'on leur inculque la valeur de l'argent. Plus tard, je ne me vois pas dire à mes enfants d'aller à l'école, de travailler dur si je ne vis que de la musique. Car vivre d'une passion est un cadeau rarissime ici bas. L'artiste qui vit de sa passion est obligatoirement coupé de la réalité tout comme le politicien nourri de son ambition n'a aucune idée de ce que ressent le citoyen moyen. La jeunesse des banlieues et d'ailleurs, doit se mettre en tête que le passé de ses parents ouvriers est bien plus respectable et qu'on peut vivre dignement sans être une star… éphémère.
Vos paroles ne sont pas futiles, on voit que vous êtes des artistes qui n'ont pas peur des mots et qui n'hésitez pas à afficher ouvertement vos opinions. D'ailleurs vous avez publié un texte polémique au sujet des médias. Vous leur reprochez d'être « corrompus ». Vous en avez une opinion très négative.
Si nous critiquons autant les médias, c'est qu'il y a bien une raison, vous vous en doutez. Par exemple, pas plus tard que la semaine dernière une journaliste de la chaîne TNT « Cap 24 » voulait nous interroger à propos de notre ville : Drancy. La journaliste m'a expliqué qu'elle allait recevoir notre maire M. Lagarde durant une émission et que, dans un souci d'objectivité, elle était prête à venir m'interroger, connaître mon opinion. Je lui ai donc poliment répondu que je n'y voyais pas d'objection et je lui ai même envoyé 3 chansons d'Empathik. Depuis, plus aucune nouvelle. Par contre lorsque France 2 cherchait une « racaille » on m'a tout de suite invité, mais ils ont été bien déçus au final (rire). Les journalistes aiment le sensationnel, nous entendre parler en « wesh wesh ». Vous n'avez jamais remarqué les interventions des jeunes de banlieues sur les plateaux TV ? Que des jeunes qui avaient du mal à s'exprimer, dont on se moquait même ! Les médias sont corrompus, les émeutes de 2005 et de Villiers Le Bel en sont les preuves flagrantes. Les gens qui avaient des choses à dire n'ont jamais été interrogés, les journalistes ont sciemment véhiculé les clichés d'une réalité formatée par le pouvoir dirigeant. Je ne parlerai même pas du 11 septembre, la presse n'a fait qu'amplifier un sentiment islamophobe au sein de l'hexagone.
Vous dénoncez aussi les pouvoirs politiques et vous êtes anti-américain, pourquoi une position aussi tranchée ?
Vous savez, des chanteurs comme Jacques Brel que j'estime énormément ont critiqué bien mieux que moi les bourgeois et les révolutions que l'on glorifie alors qu'elles n'ont rien changé. De plus, je ne suis pas anti américain. Car les américains que j'écoute ou que je connais plus ou moins par le biais de la musique sont foncièrement opposés à la politique étrangère américaine actuelle. Aux Etats-Unis, plus de 37 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, ce n'est pas à eux que j'en veux bien évidemment. Je critique toutes les politiques impérialistes et expansionnistes et cela sans exception.
Qu'est-ce qui fait que vous êtes autant critique ?
J'aime mon pays tout simplement. C'est un peu comme si vous voyez un ami proche plonger dans la drogue dure, si vous l'aimez vraiment vous ferez tout pour que sa consommation cesse, qu'il retrouve le droit chemin. Avec la France j'opère de la même manière, je l'aime et je ne supporte pas qu'une minorité dirigeante la salisse. Je suis né en France, un pays où j'ai théoriquement le droit de dire ce que je pense, ce que je ressens. Je n'y trouve cependant aucune fierté identitaire, car je perçois le nationalisme comme étant une plaie pour l'humanité. Les guerres de religions étaient en réalité des prétextes pour des chefs d'états impérialistes quémandant une légitimité morale, mais qui ne servaient au final que leurs propres intérêts. Regardez l'Irak, la Palestine, maintenant l'Iran… Au fond tout est question de crises géopolitiques et non religieuses.
Qu'est-ce qui vous tient le plus à cœur ?
L'Homme.
Quels sont vos projets à venir ?
Un album qui exprimera nos sentiments sans autre censure que notre propre morale. »
Alors, bluffant non ? Vive la liberté de penser et de parler !
elle nous offre de temps en temps, comme cela, de petits îlots de fraîcheur, dans l'océan habituel de bien-pensance et de non-idées ressassées, où la lâcheté cotoie l'ignorance, le fanatisme et la barbarie et où l'argent, ayant perdu l'essentiel de ses fonctions vitales, ne sert trop souvent que de prétexte à nous enfermer dans notre petit confort aveugle au quotidien égoîste, à la poursuite du dernier gadget le plus futile et développement durable qui soit... Stop, je me tais, je suis beaucoup moins bon que Sin'K, que je remercie de m'avoir permis de publier ces lignes.
Sin'K et le groupe Empathik se découvrent aussi ici :
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